Les Huit Montagnes

Il me demanda pourquoi je m’intéressais autant à l’Himalaya. J’avais déjà la réponse toute trouvée à cette question : je lui dis qu’il y avait une montagne sur laquelle j’avais grandi, à laquelle j’étais très attaché, et qu’elle m’avait donné envie de voir les plus belles, à l’autre bout du monde.

« Ah, dit-il. Je vois, tu fais le tour des huit montagnes.

- Quelles huit montagnes ? »

L’homme ramassa un petit bâton avec lequel il fit un cercle dans la terre. Le motif était parfait, on voyait qu’il avait l’habitude de le dessiner. A l’intérieur, il traça un diamètre, puis un deuxième, perpendiculaire au premier, et puis un troisième et un quatrième le long des bissectrices, obtenant ainsi une roue à huit rayons. Je me dis que si j’avais voulu arriver à une figure comme celle-là, je serais parti d’une croix, mais c’était typiquement asiatique de partir d’un cercle.

« Tu as déjà vu ce dessin ? me demande-t-il.

- Oui, lui répondis-je. Dans les mandalas.

- Exact, dit-il. Nous disons qu’au centre du monde, il y en a un autre, beaucoup plus haut : le Sumeru. Et autour du Sumeru, il y a huit montagnes et huit mers. C’est le monde pour nous. »

Tout en disant ces mots, il traça à l’extérieur de la roue une petite pointe au-dessus de chaque rayon, puis une vaguelette d’une pointe à l’autre. Huit montagnes et huit mers. A la fin, il entoura le centre de la roue d’une couronne qui devait, pensai-je, être le sommet enneigé du Sumeru. Il jaugea son travail un instant et secoua la tête, comme s’il avait déjà fait mille fois ce dessin mais avait un peu perdu la main dernièrement. Il planta quand même son bâton au centre, et conclut : « Et nous disons : lequel des deux aura le plus appris ? Celui qui aura fait le tour des huit montagnes, ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru ? »

– Extrait de « Les Huit Montagnes », de Paolo Cognetti


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