Arrache-moi la tête

Mon professeur de cirque ne savait pas jongler. Ni faire du monocycle. Ni tenir en équilibre sur une boule. Ni marcher sur les mains. (Il savait jouer du piano, mais ça n’a rien à voir avec le cirque, et, en plus, je ne l’avais jamais vu jouer, donc j’ai un doute même à ce sujet.)

Malgré cette incompétence étendue, c’est à son contact que j’ai appris à faire toutes ces choses. Avant de le connaître, je ne savais pas comment faire ; après, je savais. Pendant ce temps, lui n’a jamais su. Et me l’a néanmoins appris. A moi, et à des centaines d’autres enfants.

A l’époque, ça n’avait rien d’étonnant. J’arrivais dans l’église (!) qui nous servait de lieu d’entrainement, je jetais un oeil à l’amoncellement d’échasses, de massues, de monocycles et de diabolos, je choisissais celui qui m’inspirait le plus, et j’essayais de faire quelque chose avec. Soit j’imitais quelqu’un que j’avais vu utiliser l’objet, soit j’inventais autre chose. Quand j’en avais marre, j’en choisissais un autre. Et les heures passaient comme ça.

Mon professeur, lui, se baladait entre tous les enfants. Il donnait un conseil à l’un, en observait un autre et suggérait une idée à un troisième. De temps en temps, il lançait un défi à qui voulait bien l’écouter. « Qui est capable de faire dix tours de hula-hoop sur des échasses de 3 mètres de haut ? ». Et chacun progressait, à son rythme, dans son style.

[...]

Quatre années durant, j’ai appris des milliers de choses. Parfois sans me rendre compte que j’apprenais à faire des choses que personne d’autre autour de moi, et surtout pas mon professeur, ne savait faire.

Aujourd’hui, avec le recul, ça me parait magique. C’est une intarissable source d’inspiration quand il s’agit d’aider quelqu’un à avancer, car je sais qu’il n’y a pas besoin de savoir où il compte aller, ni comment il va faire. Il suffit parfois d’être là, d’être attentif, d’être admiratif, de ne pas avoir peur de jeter une pincée d’absurde dans l’arène. Et d’oublier que l’on ne sait pas.