Pourquoi écrire

C’est souvent plus facile de comprendre pourquoi on fait quelque chose quand on le fait depuis longtemps.

Voici les raisons pour lesquelles j’écris régulièrement.

Pour sortir des pensées de ma tête. J’ai un cerveau qui a tendance à carburer en permanence. C’est un don autant qu’une malédiction. C’est souvent utile, mais c’est épuisant à la longue. En lisant les oeuvres de David Allen, j’ai découvert que le meilleur moyen de calmer ce phénomène est de noter les idées qui me passent par la tête. Cette habitude est d’une redoutable efficacité, surtout couplée à d’autres petites habitudes décrites par David Allen dans son livre Getting Things Done. Aujourd’hui, je pars du principe qu’une idée ne devrait pas survenir deux fois. Dès qu’elle émerge, je l’écris, et elle disparait.

Pour avoir de nouvelles idées. La première conséquence positive du fait de noter ses pensées, c’est le calme qui s’ensuit. Le cerveau ralentit un peu, arrête de s’accrocher à la dernière idée du moment, et va parfois jusqu’à faire une petite pause, tout surpris de n’avoir plus rien à machouiller. La deuxième conséquence met un peu plus de temps à apparaitre, mais elle vient immanquablement. De nouvelles idées débarquent. Des idées qui étaient là, dans l’ombre, attendant juste que la place se libère pour faire un signe. Ces idées ne sont pas particulièrement meilleures que les autres, mais c’est toujours étonnant de penser que son cerveau est vide après une séance d’écriture, puis de rapidement constater que la prochaine fournée est déjà à l’horizon.

Pour découvrir ce que je pense. Les trois-quarts des choses que j’ai écrites sur ce site, je les ai découvertes en les écrivant. Je ne crois pas en un phénomène mystique, c’est évident qu’elles étaient déjà quelque part en moi. Mais j’aurais été incapable d’y penser, ou de les formuler, sans être passé par la case écriture. Au début, c’est rigolo à observer ; on a observé un truc un peu vague, on se dit qu’on va essayer de le partager sans bien savoir pourquoi, et on se retrouve à dérouler, mot après mot, une explication beaucoup plus riche que l’idée de départ. Ensuite, quand on voit à quel point c’est systématique, on essaye d’accélérer le processus, on se dit que, en se concentrant bien, on devrait pouvoir arriver au même résultat sans devoir écrire. Mais ça ne marche jamais. Du coup, on accepte cette fatalité, et on prend l’habitude d’écrire, juste pour savoir ce que l’on pense.

Pour clarifier ma pensée. Assez similairement au point précédent, écrire me permet d’être plus précis. Tenez, cet article, par exemple. Hier, je discutais avec un ami, qui essayait de comprendre pourquoi j’écrivais sur ce site. Spontanément, je lui ai donné quelques raisons, celles qui me sont venues les premières. En le faisant, je me rendais compte que j’avais toujours eu l’impression de savoir pourquoi j’écrivais, mais que ce n’était qu’une impression. (Notre cerveau est très habile pour donner un vernis de clarté à une idée à moitié formée.) Du coup, j’ai eu l’idée de cet article. Et la structure que je lui donne, les explications que je trouve, les exemples que je choisis, me semblent plus clairs qu’hier.

Pour prolonger un raisonnement. Ce point est lui aussi assez proche du précédent. Certains raisonnements sont trop compliqués pour tenir dans mon cerveau. Le temps que j’avance le long de différents chemins, j’ai oublié certaines interrogations du début, et je recommence à zéro. Je ne m’en rend pas vraiment compte, parce que je continue de penser au sujet, mais je suis entrain de tourner en rond. Le meilleur moyen d’éviter ça est d’augmenter la capacité de son cerveau. Ici, en l’occurrence, c’est la mémoire de travail qui me fait défaut, l’équivalent de la mémoire vive pour un ordinateur. Si j’ai une mémoire de travail plus grande, je pourrai poursuivre des raisonnements complexes sans perdre en route des éléments clés à garder en tête. L’écriture sert de disque dur externe. Si tout ce dont je dois me souvenir est stocké à l’extérieur de mon cerveau, je peux consacrer l’intégralité de sa capacité à jouer avec les éléments présents, plutôt que de devoir en gâcher une partie au stockage temporaire de chacun d’entre eux.

Pour aiguiser mon regard. Là, on aborde un sujet un peu différent. Dès qu’on se met à écrire régulièrement, on découvre que ça modifie profondément les moments que l’on va vivre en dehors de ces phases d’écritures. C’est comme si, sachant qu’il y a désormais un réceptacle prévu à cet effet, le cerveau se met à observer des choses qu’il ne voyait pas avant. Plus précisément, à interpréter des détails insignifiants, à leur donner un sens plus grand. Un mot devient le révélateur d’un biais de pensée, un geste devient le signe d’un sentiment enfoui. Précision important : je ne dis pas que ça rend le cerveau plus perspicace. L’interprétation qui est faite est très personnelle, et dix personnes qui écrivent verraient dans une conversation dix histoires différentes. Ceci dit, je crois qu’une attention plus éveillée sur ce qui nous entoure ne peut qu’enrichir notre compréhension, à long terme.

Pour ancrer des souvenirs. Dernier point, qui est une conséquence que je ne recherche pas particulièrement, mais qui arrive de toute manière : écrire permet de mieux se souvenir. L’explication est simple. Pour se souvenir de quelque chose, il faut trois composantes : un moment d’attention (on assiste à quelque chose), un moment de consolidation (on ancre ce qu’on a vécu dans notre mémoire long terme), et un moment de restitution (on va chercher le souvenir stocké et on le fait remonter à la surface de notre conscience). Si écrire amplifie notre attention pendant les moments de non-écriture, cela permet aussi de rendre les moments de consolidation plus efficaces. Le fait de penser à quelque chose qu’on a vécu pendant plus longtemps, autant que les liens que l’on tisse entre cet évènement et d’autres souvenirs déjà stockés, augmente la probabilité que ce souvenir va s’ancrer durablement, et qu’il soit retrouvé plus tard au moment de la restitution.


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