Privé d’emails pendant 3 jours
L’addiction au web parait frêle, jusqu’au jour où vous décidez de vous y attaquer. Elle se transforme alors en un ennemi perfide et trompeur, trouvant des alliés dans chaque recoin et semant le doute dans votre esprit. Comme le diable, sa ruse principale est de vous faire croire qu’elle n’existe pas.
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Lundi. J’arrive au bureau. Matinée agitée au programme, car, à midi, je prends l’avion avec un groupe de collègues. 3 jours de visite de centre de service clientèle, délocalisé.
Je liste les choses à ne pas oublier. Illumination. Et si je partais sans prendre mon ordinateur portable ?
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Revenons en arrière une seconde. Je travaille dans une entreprise où l’email règne en maître. C’est le principal moyen de communication en interne, très loin devant le courrier, le téléphone, la rencontre ou l’affichage. Les anecdotes personnelles et les annonces de plan de licenciement, le suivi de projet et le partage d’idées, la recherche d’info et la prise de décision. L’email à outrance, et sans règle. C’est l’équivalent du free fight, appliqué à la communication : rien n’est interdit, et n’importe quoi a donc lieu. Le crucial et le bénin, côte à côte, parfois cachés dans le même email. L’entreprise étant une multinationale, les emails pleuvent à toute heure de la journée et de la nuit (qui est forcément la journée d’un autre collègue). La gestion de ce flux constant d’informations entrantes est une compétence à part entière. Se priver de la consultation de ses emails, c’est se couper du pouls de l’entreprise. Et c’est impensable. D’ailleurs, personne n’y songe.
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Retour à ce lundi matin, et à l’idée absurde de me priver d’emails pendant 3 jours.
L’idée me plait. L’idée me fait peur. Je réalise que ce qui me freine, c’est de savoir que je serai le seul à avoir pris cette décision. Cette pression passivement exercée par mes collègues est incroyablement forte. C’est très étrange de faire un choix opposé à celui de 9 autres personnes. Surtout si rien dans ma situation ne justifie un comportement différent d’eux. D’ailleurs, mes collègues n’ont pas vraiment l’impression d’avoir fait un choix, ils se sont conformés à l’évidence.
Conscient de l’origine de mon hésitation, je tâte le terrain. J’évoque à haute voix mon questionnement intérieur : « Je me demande si c’est nécessaire que je prenne mon PC, le programme de 3 jours… » (Oui, parce que, détail important, il est acquis d’avance que le temps manquera cruellement pendant notre déplacement pour consulter nos emails sur place. Les journées entières sont consacrées à des écoutes d’appels de clients, avec de maigres pauses de 15 minutes ici et là.) Réaction molle de mes collègues : « Hmm, non, moi, je peux pas, j’en ai besoin. »
Je marmonne encore un peu l’idée dans ma tête. De quel document pourrais-je avoir besoin sur place ? Quelle urgence peut arriver pendant 3 jours ?
Puis je tranche, un peu fébrile : ce voyage sera sans emails.
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La suite de l’histoire est brève, car tout se jouait dans cette décision. Sur place, comme prévu, le temps passe très vite, et je n’ai pas besoin de mon ordinateur. Mes collègues, eux, profitent de chaque pause pour consulter leurs emails. Et c’est alors que je réalise un des avantages majeurs d’être privé de mes emails : ma disponibilité d’esprit. Car je sais ce que c’est que d’ouvrir sa boite de réception d’emails, de découvrir 32 nouveaux locataires, de les lire en diagonale, de se sentir impuissant car incapable de réagir dans l’instant, et de refermer son ordinateur, un peu plus stressé qu’avant, la tête plein de nouveaux problèmes à régler. Sans ordinateur, j’ai la chance de pouvoir profiter des 15 minutes de pauses pour noter des idées qui me sont venues pendant les appels que je viens d’entendre, et ainsi revenir frais et dispo pour les prochains appels. Parfaitement concentré.
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