Trouver plus d’aiguilles

« Nous devons nous y habituer : aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n’y a pas de signalisation. »
Ernest Hemingway


La vision du film « Un plan simple » a été un tournant majeur dans ma vie. Parce qu’il demeure, dix ans après, le film qui m’a le plus touché. Et parce que je l’ai découvert complètement par hasard. La conjonction de ces deux faits a engendré une interrogation majeure : comment découvrir de nouvelles choses qui me touchent autant, sans compter seulement sur le hasard ?

Je n’aurais pas du voir « Un plan simple »

Au départ, je devais aller voir un autre film. Je ne sais plus lequel c’était, et je ne me souviens plus pourquoi je n’ai pas été le voir (cinéma exceptionnellement fermé ?). Déçu, je décidais de me rabattre sur le premier autre film qui commençait peu après. « Un plan simple », donc. Le titre ne me disait rien, l’histoire pas beaucoup plus, les critiques que j’avais lues étaient mitigées, je ne connaissais pas Sam Raimi, et personne de mon entourage ne m’en avait parlé. Tant pis. Lorsque j’en suis ressorti, j’ai mis du temps à me rendre compte que jamais aucun film ne m’avais autant ému.

Depuis, j’ai revu le film quelques fois, avec toujours le même plaisir. J’en ai aussi parlé à quelques personnes, à qui le film a plu, sans plus. Ca ne m’étonne pas plus que ça, j’ai rapidement compris que ma passion pour les thèmes développés dans le film n’était pas forcément universelle.

Comment découvrir d’autres « Un plan simple »

10 ans ont passé, et je n’ai trouvé de réponses satisfaisantes à la question qui a émergé avec ce film : comment faire pour découvrir d’autres œuvres qui me parlent autant, sans attendre que le hasard ne les mette sur ma route ?

Voici les solutions que j’ai expérimentées.

1. Lire des critiques. Cette première piste était la plus évidente. J’ai donc eu une période où j’achetais énormément de magazines de cinéma. Malheureusement, je n’ai pas trouvé que ça m’aidait beaucoup ; aucune publication ne semblait particulièrement à même de m’aiguiller vers les films qui allaient me parler. J’ai poussé l’expérience jusqu’au bout (enfin, je dis ça, mais je ne le vivais pas du tout comme une expérience sur le moment, c’est venu naturellement) en faisant des grilles de comparaison, journaliste par journaliste, dans l’espoir qu’un critique se détacherait du lot pour coller de prêt à mes goûts. En vain. Au final, je crois qu’exercer le métier de critique pousse à chercher dans les films bien autre chose que ce que les autres personnes y voient. Des références, des trajectoires, des sens cachés… Du coup, je sens que nous n’avons pas les mêmes filtres.

2. Faire confiance à mes proches. Sans le forcer, je le fais régulièrement, mais je ne me repose pas vraiment dessus. Peut-être que je devrais creuser la question, échanger davantage avec des amis… Bien sûr, je connais quelques personnes dont l’avis aura une influence sur moi. Mieux, je sais même estimer chez certains la compatibilité de leurs recommandations avec mes goûts. Mais si je regarde en arrière, j’ai rarement découvert une œuvre incroyable après que quelqu’un me l’ait conseillé. [D'un coup, je me dis que c'est peut-être mon mécanisme de souvenir qui a tendance à survaloriser les découvertes que j'ai faites moi-même. Ou que s'attendre à quelque chose d'incroyable aura forcément un impact négatif sur l'impression que j'aurais par la suite. A creuser...]

3. Trouver un moteur prédictif universel. Assez rapidement, j’avais imaginé (dans le cadre de la musique) créer une immense base de données où les gens répertorieraient leurs avis, et charge à un moteur d’analyse de trouver la personne qui se rapproche le plus de vous. Alors quelle ne fut pas ma surprise quand est apparu Criteo.com ! Criteo était un site qui fonctionnait exactement sur le principe que je viens de décrire, mais pour le cinéma. Vous notiez des centaines de films que vous aviez vu, sur une échelle de 1 à 5, et ensuite, Criteo identifiait vos jumeaux, c’est-à-dire les gens dont les notes se rapprochaient le plus des vôtres. Sur le papier, c’était absolument génial. En réalité, c’était un peu décevant quand j’ai découvert le site, parce que le nombre d’utilisateurs étaient assez réduits. Au final, le site a disparu, mais la société qui l’a créé existe toujours, et fait de la publicité ultra-ciblée. Je la soupçonne d’avoir créé ce site sur le cinéma à la fois pour tester leur technologie et pour commencer à se faire connaître. Evidemment, un site comme Amazon fait des recommandations d’achat qui vont dans le même sens, mais, pour une raison que j’ignore, je n’ai jamais eu envie de suivre les recommandations, comme si la ficelle était un peu trop grosse.

4. Viser l’exhaustivité. Une solution simple pour être sûr de ne rater aucun chef-d’œuvre au cinéma, c’est de voir tous les films qui sortent. Rajouter du foin pour trouver plus d’aiguilles, quoi. Sans avoir jamais été jusque là, j’ai traversé une période où je voyais une centaine de films par an. Le problème, c’est que ça demande une quantité de ressources incroyable (en temps, en attention, en argent), pour un rendement assez faible.

5. Forcer le hasard. En me rendant compte que j’ai découvert des films incroyables au moment où je m’y attendais le moins, je me suis qu’il fallait peut-être que je crée plus souvent ce genre de situations. En effet, si on ne va voir au cinéma que des films qui nous attirent, on ne sera jamais surpris par un bon film inattendu. Oui, je sais, c’est étrange comme raisonnement, mais relisez, c’est de la logique pure. La solution ? Aller voir des films sans forcément sélectionner celui qui m’attire le plus. Bon là aussi, le rendement est assez faible… Mais forcer le hasard, ça peut aussi vouloir dire provoquer les situations où des choses inattendues peuvent survenir. Un exemple récent a d’ailleurs débouché sur une belle surprise. Alors que je ne compte jamais sur les rayons d’un magasin pour découvrir ce que je pourrais bien acheter, j’ai décidé un soir d’acheter 5 bouquins dans une boutique, sans aucune idée préconçue de ce que je cherchais. Résultat : j’ai acheté 4 bouquins d’auteurs que je connaissais déjà, et 1 bouquin au hasard. Ce dernier s’est révélé être le meilleur roman que j’ai lu depuis longtemps !


D'autres articles sur l'addiction, l'apprentissage, la mémoire, les choix