Arrache-moi la tête

Un jongleur doit lancer ses balles correctement, et les rattraper correctement. C’est tout. S’il y parvient, il jongle. Lancer. Rattraper. Aussi simple que ça.

Le lancement et le rattrapage se font tous les deux avec les mains. Toute la réussite d’un jongleur tient donc dans la bonne exécution de ses mains. La magie demeure tant que les mains assurent leurs deux tâches, lancer et rattraper.

Pourtant, un jongleur ne regarde pas ses mains. Il regarde en l’air, là où la trajectoire des balles va s’infléchir. Au moment où elles arrêtent de monter et s’apprêtent à redescendre.

Lorsqu’une balle atteint ce point d’inflexion, le jongleur ne peut pas changer sa trajectoire. En revanche, il peut procéder à deux ajustements : le prochain rattrapage et le prochain lancement. Si une balle a été lancée trop loin, il décale immédiatement la main qui doit la rattraper, et prévoit aussitôt de rectifier le prochain lancement.

Ces deux ajustements se font simultanément, à partir de la même observation. Un point d’inflexion légèrement décalé, et le jongleur s’adapte automatiquement, sans jamais avoir besoin de regarder ses mains, ni même de savoir ce qu’elles font.

[...]

Un jongleur débutant regarde ses mains. L’une, puis l’autre, puis l’une, puis l’autre, une course sans fin. Et c’est pour ça qu’il n’arrive pas à jongler. Il dépense beaucoup d’énergie à regarder ce que font ses mains, et n’a pas le temps de regarder où vont les balles. Il est débordé par la quantité d’informations après lesquelles il doit courir pour comprendre ce qu’il se passe. Parce qu’il ne regarde pas au bon endroit. Il est obsédé par ce qu’il fait, au lieu de se concentrer sur les conséquences de ses actions.

[...]

Et s’il y avait une leçon à en tirer ? Lorsqu’on est dépassé par la quantité de choses à faire, faut-il détourner son regard du terrain d’action ? Et chercher ce point d’observation, qui rassemble tout ce qu’il est nécessaire de savoir pour procéder à d’éventuels ajustements ?